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Cette œuvre musicale est composée de 22 morceaux qu’on peut exécuter aussi
séparément, la composition s’offre à toute sorte de combinaisons.
Introduction
On ne peut comprendre le temps – la vraie matière de la musique – qu’en prenant en
considération sa double nature, son ambiguïté paradoxe car le temps paraît
toujours en tant que point (ou succession de points) et espace, instant et durée, moment
et laps de temps, changement et continuité, Cairos et Cronos. Le point de départ
de la composition est la tâche de manifester cette double nature du temps dans tout le
matériel musical et dans son épanouissement, dans la façon de manier
l‘instrument, dans la conception temporelle et formelle, dans l’ordre des sons et enfin,
à travers la notation, dans la manière de jouer - et tout cela sans vouloir
dissiper le paradoxe mais pour le conserver dans le matériel musical qui le rendra
perceptible, audible, visible.
Par conséquent, la méthode choisie prend en premier lieu les gestes
instrumentaux comme point de départ. Je reitre neuf gestes instrumentaux de leur
structure hiérarchique, je les sors du contexte habituel. En isolant ces gestes
je les mets dans un nouveau contexte en tant que contrepoints indépendants
égaux en droits.
Tout ceci entraîne des conséquences importantes:
Le musicien doit complètement changer sa façon d’étudier. Pour
moi c’était une expérience captivante d’assister aux études de
Matthias Lorenz qui a été le premier à exécuter le morceau.
Mais rentrons aux neuf dimensions des gestes musicaux:
Il y a une structure contrapuntique sérielle dont la série ne se
constitue pas de points (limites) mais d’intervalles gestuels. L’interaction des
éléments gestuels enlève partiellement le contrapuntique, il en
résulte des mouvements qui ont un caractère vectoriel. Ceux-ci se transforment
en gestes contenant - à cause de leur fondement contrapuntique - un paradoxe, à
savoir instant et durée en même temps. Dû à cette contradiction,
les nouveaux rapports entre ces gestes instrumentaux se trouvent dans un état
permanent de fragilité, leur sens est mis en question à partir du moment de
la constellation suivante. Quant à l’ordre des sons, la série des intervalles
gestuels est tout simplement adaptée. Chacune des 22 parties travaille un seul
intervalle de la petite seconde jusqu’à la grande septime en montant et en
descendant. Cependant, en comprenant un intervalle dans son ambiguïté - en tant
qu’état et espace de temps -, l’ordre des sons est près de se mettre
lui-même en question. Ainsi que les gestes musicaux qui s‘entremêlent et
changent de caractère les intervalles eux aussi prennent un caractère
vectoriel ou bien deviennent des points limites pour des mouvements. Entendre le son
ou ne pas l‘entendre - c‘est devenu un cas limite.
Contrairement à la hauteur des sons qui est plutôt additive aux mouvements,
ce sont la vitesse et la densité qui influencent la qualité des gestes.
Etant donné que la durée des morceaux individuels est fixée
respectivement entre 12 secondes et 13 minutes ce qui veut dire qu’ils se situent
eux-mêmes entre instant et laps de temps, on voit bien la richesse des
possibilités qui en résulte en ce qui concerne la densité et la
vitesse, pour différencier le plus possible les figures gestuelles.
Les 22 morceaux sont organisés dans quatre groupes: 1—7, 8-12, 13-18, et 19-22.
Les quatre groupes esquissent une paire de ciseaux du point de vue de la vitesse, de la
densité et de la durée, les deux premiers groupes partant de deux
extrêmes pour aboutir à un centre, et vice versa dans les deux derniers
groupes. Les morceaux dont ces groupes sont composés forment, eux aussi,
l’esquisse d’une paire de ciseaux. Cette forme dérive de la série des
intervalles gestuels, l’analogie est encore soulignée par la modification des
vitesses dans tous les morceaux des deux groupes centraux. Cette réplication
d’une structure qui relie symboliquement des extrêmes et maintient la
contradiction et le paradoxe de la plus grande jusqu’à la plus petite
échelle et dans tous les domaines du morceau, donne à la
structure-même le caractère ambigüe d’un objet se trouvant en
même temps en continuité et en transformation. Par là, la
fragilité des rapports entre les mouvements gestuels s’est transposée
sur la composition entière, il est possible que par là la composition
elle-même se transforme en une question.
Le titre joint deux éléments reflétant l’idée
fondamentale de la composition: Morgen ayant deux significations: c’est
le matin, le moment de l’aube qui signifie l’heure du renouveau, ainsi
que demain, un mot qui donne le pressentiment d’ une suite
éternelle de lendemains dont la continuité laisse entendre le
cauchemar d’un avenir identique au présent, et Lachen, le rire,
une de ces dispositions de l’homme lui permettant d’accepter le paradoxe du temps
et des lendemains de l’existence humaine, de le concentrer dans un instant, de le
supporter.
Le texte
La citation suivante, un extrait du drame shakespearien Macbeth,
précède la composition:
Demain, et puis demain, et puis demain encore
à pas menus avancent, coulant de jour en jour vers
l'ultime syllabe des annales du temps,
et nos hiers n'ont tous éclairé que des sots
sur le chemin qui mène à la mort poussiéreuse.
Eteins-toi donc, brève chandelle!
La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur
qui parade et s'agite pendant son temps sur scène
et puis qu'on n'entend plus.
C'est un récit conté
par un idiot, rempli de bruit et de
fureur, qui ne signifie rien.
(Traduction: Jean-Claude Sallé, éditions Bouquins- Robert Laffont)
Exécutions
Première exécution:
Le 23 julliet 1997: au Hoechster Schloßplatz Francfort-Höchst; Matthias Lorenz - vc
Exécutions suivantes:
Le 8 mai 1998: au conservatoire de Rostock
Le 12 mars 2000: au Francfort-sur-le-main, Denkbar; avec une conférence de → Nik Haffner, danseur
Le 12 mai 2000: au conservatoire de Wuppertal
Le 16 mai 2000: Francfort-sur-le-Main, dans l’atelier du luthier Simon Natalis Enke
Le 12 mai 2005: à Dresden, au Kulturrathaus
Le 17 avril 2009: à Oldenbourg, à l’université Carl von Ossietzky
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